Les cahiers des Montois Cayaux présentent : LES CHEMINS DE FER A MONS (1)
INTRODUCTION
Le traité de Vienne ayant créé après la défaite de Napoléon le royaume des Pays-Bas, il fut décidé de renforcer la frontière sud du nouvel état contre un éventuel retour de l’envahisseur français. Mons fut une nouvelle fois enfermée dans une nouvelle et puissante fortification rendant l‘accès à la ville fort ardu. Derrière ces murailles, Mons resta dès lors une petite ville de garnison repliée sur elle-même.
Jusqu’au jour où le roi Léopold Ier et son gouvernement, souhaitant soutenir l’industrialisation du pays, décidèrent, vers 1835, de mettre en place un réseau de chemin de fer pour relier les différents bassins industriels entre eux et faciliter les échanges commerciaux avec les pays limitrophes. Sans doute, désireux de faire plaisir à son épouse, le roi décida qu’une des premières lignes de chemin de fer qui serait construite en Belgique se ferait en direction de la France, pays où régnait son beau-père, le roi Louis Philippe d’Orléans. Et Mons, qui se trouve sur le chemin, a ainsi été une des premières villes du pays a bénéficier d’une liaison ferroviaire.
L’inauguration du premier tronçon, qui allait jusqu’à Tubize, eut lieu le 16 mai 1840. La deuxième étape, qui était d’atteindre Jurbise, fut accomplie 17 mois plus tard. Enfin, le rail arriva à Mons en décembre 1841.
Six cents ans après l’encerclement de la ville par une enceinte, une brèche allait être ouverte pour la première fois dans celle-ci. Ce ne fut pas d’emblée que les militaires approuvèrent cette décision, mais le progrès devant passer – et, aux yeux de tous, l’avenir de la ville, voire du pays, en dépendait – leur proposition d’installer la gare en dehors des remparts fut rejetée. Dans l’esprit des autorités, la voie de chemin de fer devait arriver au plus près de la ville et de ses habitants.
Finalement, cette décision d’ouvrir la ville au chemin de fer allait avoir d’importantes répercussions sur celle-ci car elle allait pendant de longues années transformer radicalement la physionomie de tout un quartier et contribuer au développement commercial de la cité . Et pour cause, car cette nouvelle entrée s’avérera la plus fréquentée de toutes.
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L’IMPLANTATION
En raison de la topographie de la ville, seuls deux endroits pouvaient convenir à l’implantation de la station de chemin de fer : le quartier du Béguinage au sud et le quartier de l’arsenal au nord-ouest. Les deux formules avaient chacune leurs partisans et leurs détracteurs. Ces protagonistes ne se privèrent pas de s’invectiver à ce sujet par des communiqués de presse ou par la publication de livrets partisans. Pour certains on devait installer la gare sur des terrains libres situés à proximité de la place Nervienne, principalement parce ce son accès depuis la Grand-Place était le plus direct et, qui plus est, se faisait par les rues les plus commerçantes de la ville :
Ceux-ci ajoutaient que le projet de construction d’un canal, destiné à rejoindre la Sambre via Givry et Erquelinnes depuis le grand bassin du canal de Mons à Condé , en passant par le bas de la ville (donc par la place Nervienne), aurait permis d’avoir les échanges indispensables entre le rail et le fluvial à hauteur de la future gare.
Les partisans favorables à l’implantation de la gare à côté de l’arsenal prétendaient au contraire que ce futur canal empêcherait toute sortie de la ville de ce côté et placerait la gare dans une impasse, obligeant les trains à ressortir par où ils étaient entrés.
Pour les premiers, la construction de la gare à l’arsenal faisait se croiser à peu près au même endroit les voies du chemin de fer, d’abord avec la rue du Rivage, qui était à l’époque la plus fréquentée de Mons car menant au Borinage, ce qui n’aurait fait qu’augmenter les « embarras continuels de circulation et les cohues causés à cet endroit tortueux par les passages de toutes espèces », et ensuite avec le futur canal. Ce qui compromettait fortement le passage de celui-ci par la ville car les terrains disponibles pour leurs implantations respectives n’étaient pas en nombre suffisant à cet endroit. Par contre l’installation de la gare au quartier du Béguinage ne recoupait aucune de ces deux voies de communication.
De plus, ils trouvaient que l’arrivée du chemin de fer dans la partie Nord-Ouest de la ville aurait grandement perturbé le déroulement des cours donnés dans les nombreuses écoles installées à l’époque dans cette partie de la ville, à savoir dans les rues des Ursulines et du Séminaire (actuelles rues De Bettignies, Fétis et de l’Athénée) : l’école et pensionnat des Ursulines, le Sacré Cœur, l’Ecole des Mines, le Lycée et le Collège de la ville « en raison du bruit continuel qui se fait aux stations et à leurs abords, agissant sur la mobile imagination des élèves qui ne seront plus attentifs aux leçons de leurs professeurs ». Alors qu’il n’y avait aucune école dans le bas de la ville.
Ils ajoutaient enfin que, sous le rapport de l’agrandissement et l’embellissement de la ville, un autre argument en faveur du quartier du Béguinage était qu’à cet endroit « il y avait beaucoup de terrains appartenant aux Hospices Civils qui ne servaient qu’à l’usage de jardins et où l’on aurait pu aisément construire un nouveau quartier et valoriser de la sorte cette partie de la ville, tandis que de l’autre côté, où le bâti était déjà important, tout agrandissement y aurait été impossible. »
Les discussions, on le voit, étaient argumentées.
Finalement, l’idée de l’installation de la station de Mons en face des casemates ne fut pas retenue d’abord en raison de la masse énorme qu’il aurait fallu démolir pour permettre son implantation, ensuite parce que le projet de canal vers Erquelinnes fut abandonné, la préférence pour un canal en direction de la région du Centre l’ayant emporté. Le choix définitif de l’emplacement de la gare se porta dès lors sur l’esplanade située derrière l’arsenal, au nord-ouest de la ville, site qui permettait des ouvertures dans la muraille des fortifications dans les deux sens, sans devoir amputer l’un ou l’autre quartier.
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LA PREMIERE STATION DE CHEMIN DE FER
Pour permettre le passage des trains par la future gare qu’on a décidé d’installer à l’arrière du bastion n°14, il fallut, donc, percer les murailles de l’enceinte à hauteur des bastions n° 13 et n°1 qui se trouvaient de part et d’autre de celui-ci. Comme on peut le voir sur le plan ci-joint, du côté de la porte du Parc, la voie du chemin de fer croisait d’abord la route de Ghlin à l’arrière du cavalier n°12, s’appuyait ensuite sur l’arrière de la demi-lune située entre les bastions 12 et 13, puis enjambait les fossés sur un pont de bois avant de passer entre les murs d’escarpe pour atteindre le terre-plein du bastion n°13.
Grâce au dessin de Léon Dolez réalisé en 1862, voici ce que les voyageurs qui empruntaient le chemin de fer découvraient à l’approche de la ville: à droite on aperçoit un premier pont en bois permettant le franchissement du fossé qui entourait la demi-lune placée entre les bastions 12 et 13, puis le talus herbeux situé à l’arrière de celle-ci, sur lequel la voie prenait appui, avant d’emprunter un deuxième pont qui enjambait le grand fossé baignant le pied des murailles. Au milieu on voit la saignée pratiquée dans les murs, marquant l’entrée dans la ville. Elle était surmontée d’une passerelle reliant les deux côtés du chemin de ronde. Á gauche, par de-là les imposantes murailles, on distingue les toits de maisons de la cité dominés par le clocheton de la chapelle du couvent des Ursulines, tandis qu’à droite de la percée, on reconnaît le haut de la tour du Val des Écoliers. Une ligne télégraphique suivait le tracé des voies.
De l’autre côté, le plan suivant nous montre le passage des voies devant la porte du Rivage puis par-dessus la Trouille et enfin au travers des murailles formant le bastion n°1. De ce côté, comme on peut le voir sur le dessin de Léon Dolez, les rails passaient de plein pied à l’arrière de la porte du Rivage, que l’on voit enchâssée dans le remblais du boulevard, avec, à gauche, la dernière maison de la rue du même nom au devant de laquelle un wagon est rangé sur une voie de garage. Au fond, la percée au travers des murs du bastion et la passerelle du chemin de ronde. Cette porte fut démolie vers 1864.
Située, donc, à l’intérieur du talus planté d’arbres du boulevard, la station proprement dite alignait trois voies reliées entre elle par le biais d’aiguillages à contre-poids. Il y avait une remise à locomotives et des manches à eau étaient prévues pour l’approvisionnement des machines à vapeur ainsi que des réserves de charbon permettant la recharge de combustible. Le télégraphe suivait les voies jusqu’à la station.
Il est intéressant de remarquer que les voies longeaient directement le mur entourant le jardin du couvent des Ursulines. Ce qui veut dire que les voies de chemin de fer de cette époque se situaient à l’emplacement actuel du boulevard Charles-quint, et que, de ce fait, la station d’alors se situait beaucoup plus près de la ville et plus au sud-ouest que maintenant. (Il fallut même exproprier une partie du terrain appartenant aux Ursulines pour permettre la construction de la station.)
En ce temps-là, on embarquait directement au niveau des voies, ce qui nécessitait d’enjamber les rails pour approcher du train, chose qui ne devait pas être très aisée pour les dames en robe à crinoline, mais progressivement, des aménagements ont heureusement été apportés : les abords furent pavés, l’éclairage assuré par des réverbères plus puissants, alimentés au gaz de ville, et une desserte par omnibus hippomobile permit de se rendre à la station depuis le ce centre-ville. Néanmoins, il manqua longtemps une protection contre les intempéries lors de l’embarquement ou le débarquement du train, ce que la Ville ne se fit pas faute de réclamer auprès de la société de chemin de fer, mais en vain. Il fallut attendre plusieurs années avant d’obtenir satisfaction.
La première gare de Mons – qu’à l’époque on appelait, par analogie avec la marine, « l’embarcadère » (les locomotives étaient appelées des remorqueurs ; seuls nous sont resté les « quais » de gare et les « sémaphores ») – était constituée de deux petits bâtiment à toiture en bâtière avec sous-pente éclairée par des lucarnes. A gauche se trouvait le local du télégraphe et à droite la salle des guichets et la salle d’attente. Les deux édifices étaient reliés par un auvent qui était la seule protection offerte contre les intempéries.
Par ailleurs, le fait que la station avait été installée sur l’esplanade située derrière l’arsenal casematé faisant partie des colossales fortifications établies par le régime hollandais autour de la ville (cette construction très massive avait eu pour fonction d’abriter l’armement lourd de la garnison, canons et boulets, ainsi que les réserves d’armes légères), obligeait les voyageurs à le traverser de part en part, en son milieu, pour accéder à la petite gare. ce qui ne devait pas être très engageant, comme le laisse supposer les dessins relevés par Léon Dolez vers 1862, tant cette construction militaire présentait un aspect rébarbatif.
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CRÉATION D’UN ACCÈS VERS LA STATION
La nouvelle station de chemin de fer étant construite, encore fallait-il pouvoir y accéder. Située en zone militaire, rien n’était prévu à cet effet et il n’y avait aucune voirie dans ce coin de la ville uniquement planté de jardins et de cultures. Ceci s’explique par le fait qu’enserré depuis près de six cents ans à l’intérieur de fortifications, l’habitat urbain s’était développé en cercles concentriques autour de son noyau historique situé au sommet, ce qui a fait qu’en dehors des grands axes menant aux anciennes portes de la ville, il y avait peu de liaisons vers la périphérie. Il fallut donc aménager une voie d’accès vers cette nouvelle entrée dans la ville. On sacrifia pour cela les jardins de l’ancien séminaire alors occupé par le Collège de Mons (qui deviendra l’Athénée Royal), jardins qui se situaient dans le prolongement de la rue de la Petite Guirlande qui, à cette époque, n’allait pas plus loin. Cette voirie prit, bien sûr, le nom de « rue de la Station » (c’est l’actuelle rue Rogier, du nom du ministre des transports de l’époque).
Mais il y avait un obstacle de taille : l’énorme bâtiment de l’arsenal. Sa masse était si importante qu’il ne fut pas envisagé, dans les minces débuts du chemin de fer, de le démolir, surtout qu’on pouvait le traverser aisément. D’autre part, il servait encore d’entrepôt à la Ville. Ce qui fit qu’on se contenta de créer devant celui-ci une place semi-circulaire pour matérialiser l’entrée de la station . On donna donc le nom de place de l’Embarcadère à cet espace, ce qui explique la présence de l’Hôtel de l’Embarcadère, café, restaurant, à front de celle-ci, puisque c’était, alors, le premier établissement que le voyageur rencontrait en « débarquant » à Mons.
Par la même occasion, on réorganisa tout le quartier en ouvrant la rue Chisaire jusqu’à la Porte du Rivage (du nom de l’ancienne caserne construite jadis sur la propriété de la famille Chisaire) et en ouvrant, au passage, le trou de Boussu qui jusque là était une rue en cul de sac fermé par l’ancien hôtel des sires de Boussu.
Sur cette place de l’Embarcadère, rebaptisée après le décès de la première reine des Belges, en 1850, « place Louise-Marie », ainsi qu’en bordure de la nouvelle rue « de la Station », de nouveaux immeubles à vocation commerciale firent rapidement leur apparition, ce qui explique l’aspect parfaitement homogène de ces constructions tel qu’on peut encore le voir aujourd’hui.
Sur la place de l’Embarcadère, rebaptisée par la suite place Louise en hommage à la première reine des Belges, voici le bien nommé Hôtel de l’Embarcadère, café-restaurant, puisqu’il était le premier établissement que les voyageurs rencontraient en sortant de la station.
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UNE NOUVELLE GARE
Une nouvelle stratégie de défense du pays s’appuyant sur la forteresse d’Anvers, conjuguée à l’apparition d’un nouveau type de canon plus performant, provoqua le déclassement définitif de toutes les places-fortes du pays. Après la loi du 15 juillet 1860 autorisant la cession des terrains militaires, celle du 8 mai 1861 décréta la démolition de l’enceinte montoise, ce qui allait permettre la construction d’une toute nouvelle station correspondant mieux au formidable développement qu’avaient pris les chemins de fer, qui s’étaient désormais imposé face aux diligences, et entraîner une importante métamorphose de toute la partie Nord-Ouest de la ville.
Mons était devenu un important nœud ferroviaire pour le trafic marchandises et voyageurs. Aussi, en raison de cette expansion, la petite station de Mons était rapidement devenue inadaptée.
D’après Hubert Dolez, échevin montois parti défendre la cause de la ville à propos de la démolition des fortifications et de l’agrandissement de la gare, « les manœuvres dans celle-ci devaient se faire vingt fois par jour coupant la route reliant Mons au Borinage au niveau de la porte du Rivage, ce qui arrêtait toute circulation routière et provoquaient de vastes embouteillages. ». Dès lors, aussitôt la loi du 8 mai 1861 autorisant la démolition des fortifications adoptée, il fut question de la construction d’une nouvelle gare, plus spacieuse et mieux desservie, ainsi que l’aménagement de tout le quartier environnant. Mais ce ne fut que dix ans après le début des négociations entre la Ville et l’État qu’une convention régla la position définitive de la nouvelle gare et celle du boulevard qui devait la jouxter. (sur une longueur de près de 1.000 mètres, de la porte du Parc à la porte du Rivage)
Mais une polémique s’était élevée entre les différentes parties prenantes, à savoir l’État, propriétaire des terrains, les chemins de fer, appartenant en partie à des capitaux privés, et la ville. Cette dernière voulait construire la nouvelle gare au plus près des commerces, c’est-à-dire à l’intérieur des boulevards ; les chemins de fer et l’État voulaient au contraire installer celle-ci en dehors de ceux-ci. Après de longues discussions, un compromis fut trouvé : on ne créerait pas – comme c’était le cas ailleurs – de voirie circulaire intérieure sur l’ancien chemin de ronde entre la porte du Parc et la porte du Rivage, ce qui permettrait de construire la nouvelle gare à l’extérieur du boulevard mais d’avancer celle-ci de 29 mètres en direction de la ville. L’idée fut retenue à la satisfaction de chacun. C’est ce qui explique qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de « Grande Voirie » de ce côté de la ville.
Néanmoins, la nouvelle gare reculerait par rapport à l’ancienne, elle se décalerait même un peu vers la porte du Parc de façon à permettre que le milieu du nouveau bâtiment se situe exactement à l’intersection des axes des deux nouvelles rues d’accès projetées (actuelles rues Léopold II et de la Houssière.
Notons également qu’une prolongation de la rue Chisaire était prévue jusqu’à la rue de la Houssière, mais ne fut jamais réalisée.
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LA NOUVELLE GARE
Édifice monumental de style néo-roman, reflet de l’apogée du chemin de fer, cette gare fut réalisée en parfaite harmonie avec l’architecture de la vieille ville.
Sur le document joint, on voit que les travaux de construction, commencés en 1863, viennent de se terminer. La blancheur de la pierre en témoigne et, surtout, ni la place Léopold, ni le boulevard n’existent encore. L’inauguration aura lieu en 1874, les travaux ayant duré neuf ans. Édifiée tout en pierre sur les plans de l’ingénieur Van der Sweep, dans ce même style néo-renaissance commun à toutes les grandes gares du pays, cette nouvelle gare de 1.600 mètres carrés mesurait 130 mètres de long. Elle présentait un corps central surmonté d’une grande horloge qu’encadrait des statues figurant le commerce et l’industrie, et puis, de part et d’autre, deux longues ailes dont les façades s’ornaient de nombreuses baies surmontées de seize blasons symbolisant la province et les principales villes du pays.
La salle des guichets, uniquement accessible au public durant la journée, se situait dans le corps central. Dans l’aile gauche se trouvait la salle d’attente de troisième classe ainsi qu’un buffet où l’on pouvait obtenir des boissons et de la petite restauration. Dans l’aile droite, on accédait à la salle d’attente des première et deuxième classes, plus confortable, et qui, elle aussi, jouxtait un buffet. Bien entendu, on y trouvait des bureaux occupés par l’administration du chemin de fer, de la poste et du télégraphe, ainsi que des locaux pour les bagages.
A l’arrière, par-dessus les quais où aboutissaient 8 lignes desservant Mons, une grande verrière large de 35 mètres protégeait des intempéries les 5 voies principales. On peut en apprécier l’importance sur cette vue prise depuis le faisceau des voies.
Le tout, le grand hall, les quais qui s’étendent derrière celui-ci, les dépendances et tous les abords de la station, formant ensemble 15 hectares, était éclairé, au gaz d’abord, puis, dès 1893, à l’électricité. A droite de la verrière on aperçoit, avec sa haute cheminée, la construction en bois abritant les bureaux des marchandises. Des remises à locomotives et des ateliers situés plus en arrière complétaient le dispositif.
Non seulement le chemin de fer offrait à la population le moyen de se déplacer dans une grande sécurité, mais également le plus confortablement possible. Le buffet de la gare était un de ces éléments indispensables de confort pour les voyageurs en transit.
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Le quotidien de la gare
Mons était desservie aussi bien par des lignes internationales que régionales. Á la belle Époque, on pouvait rejoindre Paris par l’express de la Compagnie du Chemin de Fer du Nord (aller-retour en 1ere classe : 42 Francs 65 centimes) ; ou encore Amsterdam par le direct de la Compagnie Internationale des Wagons-lits (60 minutes pour arriver à Bruxelles) ; et, depuis Mons, de nombreuses correspondances permettait de se rendre à Lille, Tournai, Namur, Charleroi, Binche, Grammont, Quiévrain.
« Dédaigneusement, dans un fracas de tonnerre qui a longtemps grondé sous les arcades de la grande verrière l’ « Etoile du Nord » est passé sans s’arrêter, soulevant un grand nuage de poussières et de vapeur derrière lui ; plus modeste, l’omnibus qui dessert Valenciennes, Blanc Misseron, Quiévrain, Boussu, Saint Ghislain, Quaregnon, Jemappes, vient d’arriver, déversant ses voyageurs qui s’égaillent dans toutes les directions. La voiture de place n’a vu venir aucun client. Philosophe, le cheval se remet à méditer, la tête penchée sur les pavés. Une prochaine fois peut-être. » (Georges Garnir, 1868-1939)
En outre, voici comment ce même auteur décrivait l’atmosphère au sein de la gare au début du XXe siècle :
« Le hall de la station de chemin de fer à Mons impressionne, la nuit, par sa vastitude. Les ténèbres et le silence montent vers ses hauts vitrages cintrés, s’y accumulent et les remplissent. A peine si, au ras du sol, une demi-douzaine de feux piquent l’obscurité, sans éclairer – comme des cierges.
Or, voici qu’à la minute précise fixée par les destins et l’Indicateur des Chemins de Fer, des ombres surgissent. Les unes, avec des valises, émergent des souterrains ouvrant sur les quais ; d’autres, en bourgeron, courent en balançant à bout de bras une lanterne.
Une main mystérieuse a tourné quelque part un commutateur : des feux multipliés chassent la nuit. Un bruit de chose qui roule, tumultueuse et trépidante, fer sur fer, se rapproche, grandit…et brusquement, l’express de Paris (il est dix heures du soir) entre en tempête : les freins coincent les roues, le moteur qui haletait arrête d’un brusque effort les saccades de son cœur, des portières battent ; le cri « Mons !.. Mons ! » est poussé par le garde-convoi qui se dérouille rapidement les jambes le long des marchepieds.
Mais déjà le train a jeté sur le quai voyageurs et bagages ; le voila qui repart dans de grands tourbillons de fumée et de vapeur, fonçant dans le noir, ne laissant derrière lui, reflétée par le miroir falot des rails parallèles, que la rouge traînée de son fanal.
Dans la gare, les voyageurs débarqués disparaissent par les trappes des passages souterrains et on dirait que leurs pas s’étouffent dans des cryptes…
La même main invisible éteint les lumières et la gare retombe dans son vaste silence. Mons ville de couche-tôt, Mons un instant tirée de son premier sommeil, se retourne sur le côté et, tandis que décroît le roulement du train dans la plaine de Nimy, se rendort.
La vie a passé : bonne nuit, Mons ! »
A l’époque, le spectacle du passage du train de Paris faisait partie des distractions montoises. Et Garnir de conclure : « Ce n’est pas gai, gai, gai, mais il faut se contenter de ce qu’on a. »
Avant lui, Camille Lemonier avait rapporté une autre ambiance beaucoup plus joyeuse qui régnait certains jours dans la gare : « Les jours de fête ou de ducasse, quand l’heure du dernier train arrivait, les rues environnantes se remplissaient de longues files de silhouettes titubantes qui regagnaient la station en chantant, braillant, battant des bourrées et nouant des rondes dont le bruit prolongé à travers le silence des carrefours va troubler les placides bourgeois dans leur lit : c’étaient les borains qui s’en retournaient chez eux.
Á l’embarcadère, le grouillement était indescriptible. C’était une terrible bousculade, malgré les efforts des gendarmes et de la police urbaine pour contenir les poussées et empêcher que cette foule affolée et ruée jusque parmi les rails, ne se fasse émietter sous le ventre des machines. Pêle-mêle, ils s’entassaient dans les voitures, au milieu d’un effroyable mélange de clameurs, de rires, de jurons ; les femmes assises sur les genoux des hommes, tout le monde tapant des pieds, graillonnant des refrains, poussant des cris.
Même après que le coup de sifflet du départ se soit fait entendre, l’air était encore déchiré par les hurlements qui s’échappaient des portières, et formaient comme l’adieu aux gaietés et aux folies vécues dans la journée. »
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LA GARE PENDANT LA GUERRE
Au cours de la guerre, la gare de Mons fut plusieurs fois bombardée par les Anglo-Américains. Le 18 juin 1942 à 3h00 du matin, les bombes frappent le pensionnat des Ursulines, manquant de peu la gare située à 200 mètres de là. Des sœurs sont blessées.
Le 31 décembre 1942, les installations du chemin de fer sont à nouveau la cible des Alliés, mais les lâcher de bombes se faisant à haute altitude pour éviter les tirs de la défense aérienne, beaucoup de celles-ci ratent leur cible et endommagent ou détruisent plusieurs immeubles situés à proximité. Notamment au Boulevard Charles-Quint, et dans les rues des Gaillers, du Petit Quiévrois et du Mont du Parc. On y déplora un tué et plusieurs blessés légers.
Le 9 janvier 1943, vers 17h00 un avion allié lâche quelques bombes sur les installations du chemin de fer, l’endroit visé étant l’atelier de réparation des locomotives au lieu dit l’Aviation, dans la courbe précédant le pont de Ghlin, heureusement sans faire de victimes.
Plus tard, les alliés, cherchant à paralyser l’ennemi en prévision du débarquement, renforcent leurs bombardements sur les voies de communications du Nord de la France et de la Belgique. Mons ne sera pas épargnée.
Le 9 mai 1944, des bombes causent quelques dégâts aux installations du chemin de fer et aux environs de la Porte du Parc. Le même jour vers 16h30, des avions Spitfire viennent exécuter quelques vols en piqué au dessus de la ville pour avertir la population qu’un bombardement allait avoir lieu à brève échéance.
Effectivement, le lendemain matin vers 10h00, la ville de Mons subit le bombardement le plus grave et le plus meurtrier de toute la guerre. Il dura plus de 40 minutes. La gare de formation qui était visée est détruite, mais aussi, hélas, plusieurs immeubles des environs dont les habitants trouveront la mort. On dénombrera au total une trentaine de tués et une soixantaine de blessés. Quant à la gare elle-même, elle fut sérieusement touchée, l’aile droite est complètement détruite et la grande verrière fortement endommagée (elle s’effondrera au mois de juin, un dimanche midi, heureusement sans faire de victime). Le pavillon central et l’aile droite sont tout à fait inutilisables, la poste est en piteux état mais elle pourra être réparée. Une reconstruction complète de la gare s’avérera nécessaire et, pour ce qui est des installations ferroviaires, tout à été détruit, les voies, le matériel roulant,les remises et entrepôts.
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LA RECONSTRUCTION
L’ancienne gare ayant été tellement sinistrée que la seule solution possible fut d’en construire une nouvelle. La première pierre fut posée le 8 décembre 1947 par le 1er ministre Achille Van Acker. On procéda en deux temps, en commençant par l’aile bombardée et le pavillon central, qui furent inaugurées en 1950. Puis, une fois que l’aile Nord et la salle des pas perdus furent mises en service, on put procéder à la démolition de l’aile subsistante, qu’on avait continué d’utiliser, et construire l’aile gauche du nouveau bâtiment pour porter la surface de l’ensemble à 2.000 mètres carrés.
Les plans furent réalisés par l’architecte René Panis, professeur à l’école des Beaux-Arts de Mons. Aussi imposante que la précédente mais beaucoup moins architecturale, la nouvelle gare fut officiellement inaugurée le 19 octobre 1952. On peut aussi déplorer que cette nouvelle construction fit disparaître la belle unité d’ensemble que la place Léopold avait connue jusque là.
En même temps, des mémoriaux dédiés aux cheminots morts pour la patrie durant les deux guerres (140 en 14-18, 177 en 40-45) furent également inaugurés. (Plus tard, en 1990, sera ajoutée une plaque commémorative à la mémoire des milliers de déportés du travail qui, au départ de la gare de Mons, furent emmenés par les occupants entre 1942 et 1945.)
Le bâtiment central regroupait la salle des pas perdus, qui avait été équipée en salle d’attente, les guichets voyageurs et bagages, dont un guichet de réservation pour le service international, et un bureau d’informations. La gare étant un lieu très fréquenté, des commerces gérés par des sociétés privées ou des indépendants y ont trouvé place : un buffet avec restaurant, un bar, une aubette à journaux.
En 1958, dans le cadre des festivités liées à l’Exposition Universelle, la SNCB confia à l’artiste-peintre montois Jacques D’Hont le soin de décorer l’intérieur de la salle des pas perdus. Celui-ci réalisa sur trois parois une immense fresque de 43 mètres de long sur 4 de haut, illustrant la vie sociale et économique de la ville, et aussi de sa région, par des scènes reprises du folklore montois ou inspirées de quartiers de Mons ou, dans une moindre mesure, de l’activité principale dans les environs : l’extraction du charbon.
Altérée au fil des ans, cette fresque fut remplacée par une reproduction effectuée par l’artiste turc Dozan Cakir, tenant compte avec l’accord de Jacques D’Hont de l’évolution du monde actuel. Cette œuvre fut scannée et sérigraphiée sur des panneaux de tôle émaillée assurant son inaltérabilité. Elle fut inaugurée en présence des deux artistes en mai 2001 lors des festivités organisées à l’occasion du 75eme anniversaire de la SNCB.
Lors de la démolition de la gare, ces panneaux ont été mis à l’abri au Musée du Rail à Saint-Ghislain.
et aujourd’hui …