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La construction de la collégiale Sainte-Waudru

Dossier réalisé par Philippe Yannart

Les ouvrages de Philippe Yannart sont disponibles | Mons Blog
La collégiale Sainte-Waudru à Mons (vue du jardin du Beffroi)
photo B Maton 2019
photo par drone Rodolphe Zinga

LA CONSTRUCTION DE SAINTE WAUDRU, LES MAÎTRES D’ŒUVRE (1)

Les maîtres d’oeuvre en visite sur le chantier de construction

Nous ne disposons pas d’archives qui pourraient nous éclairer sur les raisons profondes qui ont poussé à entamer la construction d’une nouvelle église. On n’a rien sur les préalables, ni même les préparatifs. On en est réduit à des conjectures au travers des rares indications dont on dispose. Mais il y en a. Elles viennent essentiellement des comptes de la fabrique d’église qui étaient rigoureusement tenus au jour le jour.

Le très savant Léopold Devillers, historien, en fit l’ étude et les publia dans un livre qui s’appelle Mémoire historique et descriptif sur l’église Sainte-Waudru à Mons. Dans cet ouvrage, il donne des extraits des comptes de l’église de l’époque qui sont repris dans un : « Quayers des ouvrages ù Chi après s’ensieut par déclaration le coustenge del église Medame Sainte Waudru de Mons en Hennau, du dyocèse de Cambray, mère église et première nomméz des églises dudit Mons, mais [aussi] de touttes les églises de le comté de Hennau, commenchiée à [être] réédifiée de nouvel au [mois de] march l’an mil quatre quarante-neuf, ainsi que par la veue dez vivans peut apparoir. »

C’est par la lecture de ces comptes que l’on connait certains détails sur la façon dont ça s’est passé. Malheureusement, ceux-ci ne décrivent, sommairement, que les dépenses engagées, c’est-à-dire une fois les choses terminées, ce qui ne nous apprend pas grand-chose des préparatifs.

Á vrai dire, on ne sait pas trop qui est le vrai architecte de cet édifice, celui qui a rédigé le plan initial. On n’a aucune preuve, on a de fortes présomptions, mais rien ne corrobore celles-ci dans les archives de l’époque. Tout ce que l’on sait, toujours d’après les comptes de la fabrique, c’est que l’état du chœur de l’ancienne église romane, en 1448, imposait des réfections. Alors, le fait que cette construction rustique, plutôt lourde, ne supportait plus la comparaison avec ce qui se faisait dans les autres grandes villes du pays, et donnait donc une image peu flatteuse du chapitre noble qui en était responsable, a sans doute été à l’origine du projet de construction d’une nouvelle église. Bien entendu sur un plan plus vaste, une élévation plus majestueuse, comme on savait le faire, alors, avec l’art gothique qui était à la mode.

On pourrait supposer qu’il aura fallu une certaine audace au chapitre de Sainte Waudru pour se lancer dans un tel projet, mais si on considère les choses du point de vue de l’époque, on voit que l’on a affaire une congrégation de femmes issues des meilleures familles d’Europe ayant un rang à tenir ; riche, car à la tête de nombreuses propriétés foncières ; parfaitement consciente de la pérennité de son institution qui est respectée et honorée depuis des siècles, déjà. Qui plus est, placée sous la protection d’un des princes les plus puissants du moment : le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, descendant direct des comtes de Hainaut, abbés du chapitre.

Et puis le peuple ! Le chapitre, en ces temps d’exaltation religieuse, était assuré de son soutien. Celui des bourgeois, d’abord, très soucieux de leur place dans la société, mais aussi celui de la populace, à qui il suffisait de donner des promesses d’un « à venir » dans l’au-delà, rassurant. Enfin, la paix régnait depuis plus de vingt ans et le commerce était florissant. Les échanges des biens et des idées permettaient d’entrevoir un avenir radieux. Toutes ces bonnes conditions ne pouvaient que concourir à la réussite du projet.

Implantation, de la collégiale gothique autour de la collégiale romane
La collégiale romane

LA CONSTRUCTION DE SAINTE WAUDRU, LES MAÎTRES D’ŒUVRE (2)

Pour en revenir au concepteur du plan original, c’est, au départ, assez nébuleux car ils furent plusieurs à être appelés en mars 1449 par les chanoinesses pour en discuter. On le sait, toujours par ces fameux « quayiers des ouvrages » dont on vient de parler, car chacun des intéressés fut défrayé de son déplacement.

Parmi ceux-ci, il y eut un certain Michel De Rains, auteur de la cathédrale d’Amiens, à qui les chanoinesses demandèrent de présenter des plans destinés à la préparation de ce projet. Les comptes indiquent qu’il fut rémunéré pour cela, le 5 mars 1449. L’un de ces deux dessins est toujours conservé aux Archives de l’Etat à Mons. Il représente le plan d’un chœur entouré d’un déambulatoire à sept chapelles rayonnantes, précédé d’un transept à trois vaisseaux. En fait, les caractéristiques de quelques-unes des plus grandes cathédrales de France. Ce qui induit que les dames chanoinesses souhaitaient pour leur nouvelle église une architecture correspondant aux plus belles cathédrales du XIIIe siècle.[1]

Voici un extrait du compte de 1449 qui le mentionne:

Chi apriès s’ensuivent les parties que Andrieu Martin comme recepveur de cappitle del église madame Ste Waudru de Mons a payet et soustenut al ocquison del ouvraige que le dit cappitle a intention de faire à la trézorie et cuer [chœur] de ladite église, despouis l’entrée dou mois de février l’an 1449 (…) :

– A Jehan Huwellin, maistre machon de Haynnau, pour avoir estet audit lieu de Mons, avoecq aultres appelés, pour prendre advis de commenchier à ordonner et mettre en fourme l’ouvraig, il a eubt pour chacun jour au-deseure de ses dépens et ossi de son cheval : XX sols ».

– A Michiel De Rains, maistre machon de Valenchienes, pour avoir estet évicté avoecq le dit maistre Jehan, au command de mesdites demoiselles, audit lieu de Mons, pour avoir son advis pour le terme des dis cinq jours audit pris, augmenté, parmy vingt-cinq sols qu’il eult pour payer le leuwage de son cheval au deseure desdis despens et frais… autant.

– Au dit maistre Michiel De Rains, pour avoir mis et compasset en parchemin deux pâtrons de le manière del ouvrage qu’il apperteura à faire seloncq son advis, sour la plache de le trézorerie et coer de ledite église ; a estet payet … autant.

– A Jehan Le Fèvre, maistre machon de la dicte ville de Mons pour avoir estet avoecq ledit maistre par l’espasse de cinq jours, a esté delivret … autant

– Pour depens fais par les dix maistres et avoecq Hellin De Sars qui les acompaigna au terme des dis cinq jours… autant, et pour leurs chevaux… autant. »

Ce décompte des dépenses permet donc d’affirmer que les plans de l’édifice ont été réalisés par Michel de Rains, maître maçon de Valencienne, avec l’aide de Jean Huwellin, maître maçon de Hainaut, de Jean Le Fèvre, maître maçon de Mons et de plusieurs chanoines et membres de la fabrique de Sainte-Waudru.

(à suivre)

[1]Peter Kurman genèse de l’architecture de la collégiale Sainte-Waudru à Mons. In Jacques Dubroeucq. Ars Libris. 2000.

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Le décompte des dépenses dont nous avons déjà parlé permet donc d’affirmer que les plans de l’édifice ont été réalisés par Michel de Rains, maître maçon de Valencienne, avec l’aide de Jean Huwellin, maître maçon de Hainaut, de Jean Le Fèvre, maître maçon de Mons et de plusieurs chanoines et membres de la fabrique de Sainte-Waudru.

Mais, c’est ce Jean Huwellin qui était le directeur du projet. On le retrouve, d’ailleurs, le 5 février suivant, lui et le charpentier Hellin De Sars, accompagnant les dames chanoinesses « à Bonne Espérance pour y veoir le façon dont étoient faicts le chœur et la nef de cette église. Les deux mêmes maistre-artisans se rendirent ensuite veoir icelles de Tournai, Lille, Grammont, Bruxelles, Louvain et Malines. »

Ceci indique qu’il y eut une certaine assiduité de la part de ces personnes dans la préparation du projet, parce que, faire autant de voyages relativement loin pour l’époque, n’a pu se faire en quelques jours. On peut supposer que les dames du chapitre y veillaient, surtout que leur bourse était bien pourvue, et qu’elles ne regardaient pas à la dépense.

Le texte nous apprend aussi qu’en même temps qu’elles faisaient venir ces « maîtres maçons » renommés, elles avaient également convoqué cinq chanoines forains de Sainte-Waudru qui résidaient à Bruxelles. « Pour venir à Mons visiter la place et avoir advis de la manière de réédification » est-il indiqué. Elles cherchaient donc à s’entourer d’un maximum de conseils pour le remplacement de l’ancienne église romane qui était, alors, toujours en fonction.

On assiste donc à une longue préparation du projet. Cette convocation de février 1449, d’autant de spécialistes et de chanoines demeurant fort loin, indique bien que le projet était déjà bien avancé, car on ne fait pas entreprendre un tel voyage – surtout en ce temps-là – à un bon nombre de personnes, sans avoir des éléments à leur montrer. Or l’énorme travail de mise au point d’un tel projet a certainement dû être laborieux, car il ne s’agissait pas seulement de présenter à la docte assemblée un simple plan général, comme on pourrait le croire, mais bien, vu l’ampleur du projet et la qualité des mandataires, d’une étude complète avec différentes vues en coupe, projections, analyses de détails, et même, probablement, des maquettes en réduction ou grandeur nature pour certaines, et peut-être encore, de présentation de matériaux. Et puis, sans doute, d’un budget.

Donc Huwellin avait probablement dû préparer ce projet depuis longtemps, avant que ne soient organisées les réunions et les confrontations dont parlent les textes, ainsi que les voyages d’information, effectués aussi bien par lui, le maître du projet, que par des représentants du Chapitre et de la fabrique d’église. C’est-à-dire les personnes qui devaient prendre les décisions.

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Quand on visite la collégiale, on voit bien que le projet a été réalisé par un seul maître. On peut l’affirmer. D’abord par le fait que l’intérieur soit construit avec une unité et une harmonie complètes, ce qui est très rare dans les édifices du Moyen-âge. Et, dans le pays il n’y a pas de plus bel exemple. Ensuite, il est évident que le chapitre a certainement désiré avoir une représentation de l’ensemble de sa future église pour la construction de laquelle il allait devoir consentir de nombreux sacrifices. Donc, à partir de là, on peut concevoir que le projet a été réalisé d’un seul coup. Enfin, on peut aussi raisonnablement imaginer que l’auteur a mené à terme sa mission, puisque les comptes de la fabrique ne mentionnent avoir défrayé aucune autre personne à cet effet. On pourrait même ajouter que, très probablement, la tour prévue du côté de la façade principale, devait, elle-aussi, faire partie du projet initial, et ce projet initial fut scrupuleusement observé pendant les deux-cent-cinquante ans, grosso-modo, qu’ont duré les travaux de construction de cette église !

Devillers, dans son Mémoire historique et descriptif sur l’église Sainte-Waudru à Mons, nous apprend un peu plus loin que le 31 janvier 1450, une nouvelle équipe est mise en place. En effet, les chanoinesses résolurent en assemblée capitulaire, ce qui suit :

« Che jour, fist serment en cappitle en le main de Jehan Leleu, comme baillieu de cappitle, maistre Jehan Spiskin, pour y estre maistre ouvrier ayant la charge des ouvrages qui se feront en la dite église, à gages de dix livres tournoi par an, avoecq les draps de le grande livrée au cas que cappitle se feroit, et ossi sa demeure en l’une des maisons manable de l’église alans à leuwer, la plus nécessaire pour le dit maistre Jehan et pour le bien des dis ouvrages qui y seront à faire. »

Donc voilà qu’un certain Spiskin est nommé maître ouvrier avec, à la clé, salaire, habillement et habitation « la plus nécessaire » !

Qu’est devenu Huwelin ? On ne le mentionne plus. Était-il malade et sa maladie l’a-t-elle empêché d’assister au commencement des travaux, ou bien était-il décédé ? En fait, on perd complètement sa trace à partir de ce moment-là, et c’est probablement sa disparition qui a entraîné la nomination de Spiskin. En tout cas, le 5 février, c’est ce dernier qui, en compagnie de six chanoinesses, du bailli du chapitre, du receveur et de plusieurs autres, se rendit à Bonne Espérance pour « aviser le grandeur du cuer d’icelle église et le fachon. »

En outre : « Le dimanche 15 février 1450, Gilles Pole, maistre machon de Brabant, maistre Mathieu De Leens, machon de Louvain, Pierre Pole, fils dudit maistre Gilles, Pierre Des Moulins, maistre Jean Le Fèvre, machon de la ville de Mons, Jean Spiskin, Jehan De Sars et aultres de l’église furent mandet à Mons pour avoir son advis, avec aultres, sur le conclusion de le devise del œuvre. »

Donc, on a fait venir depuis le duché de Brabant de nouveaux professionnels maîtres maçons : Gilles Pole, maître maçon de Brabant, qui est venu avec son fils, et Mathieu de Leens (ou de Layens), maître maçon de Louvain, pour vérifier une dernière fois le projet, sans doute pour rassurer le Chapitre montois. Bien entendu, il n’y eut pas que cette rencontre. Les décomptes de frais nous apprennent que les jours qui suivirent, il y en eut d’autres, qui se déroulèrent notamment « à l’ostel A l’Ange, parmy feu et belle chière ».

Si l’on résume la situation, Jean Spiskin fonctionna, jusqu’à sa mort en 1457, comme maître d’œuvre, tandis que Mathieu de Layens servait d’inspecteur pour assurer la conformité de la construction avec les plans. Une fois Spiskin décédé, c’est ce dernier qui reçut la charge de maistre de l’ouvraige du nuef cœur, qu’il assura jusqu’à sa propre mort en 1483. On peut donc penser que c’est à lui qu’on doit la pureté de style, qui fait le mérite principal de la collégiale. Après sa mort, les chanoinesses fient appel en 1484 et en 1485 à un certain Antoine, maître maçon de Hainaut, pour surveiller les travaux.

Ste-Waudru en 1531. Dessin de Pierre Seuwart. BUMons.
La collégiale vers 1585. Gouache extraite des « Albums de Croy ». Ed. Crédit Communal de belgique.1986.
Flanc nord de la collégiale. Lithographie de P. Devel. XIXe s. Col. de l’auteur.
Photo Rodolphe Zinga
photo Pascal Mercier 2022
photo Pascal Mercier 2022
Photo Yannart
photo Pascal Mercier 2022
Sainte-Waudru (photo Rodolphe Zinga)

Collégiale Sainte Waudru — Ville de Mons

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