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Les brasseries montoises par Philippe Yannart

LES BRASSERIES MONTOISES

par PHILIPPE YANNART

Salut à toi, bière limpide et blonde,

Je tiens mon verre, et le bonheur en main.

Ah ! J’en voudrais verser à tout le monde,

Pour le bonheur de tout le genre humain.

A plein verre mes bons amis

En la buvant, il faut chanter la bière ;

A plein verre, mes bons amis,

Il faut chanter la bière du pays !

Antoine Clesse (1816-1889)

Les anciens belges buvaient déjà une boisson d’orge fermentée, mais l’industrie de la fabrication de la bière naquit et se développa surtout au Moyen Age, dans les abbayes où la règle interdisait de boire du vin.

D’autre part la bière représentait pour la population, un excellent moyen de lutter contre les épidémies provoquées par l’eau souvent infectée à cette époque. C’était là une raison suffisante pour voir se développer un peu partout une industrie brassicole.

Chaque village possédait sa propre brasserie, plus ou moins artisanale. On sait que le Chapitre de Mons en possédait également une, dite bien évidemment de Ste Waudru, et qui se situait « en la rue de Nimy ».

Lorsqu’elle devint une industrie privée, les « cambiers » de Mons (nom porté par les brasseurs au Moyen Age – d’où les patronymes) se constituèrent en connétablie qui joua un rôle traditionnel dans l’histoire de la ville.

Les documents les plus anciens qui nous renseignent sur Mons, montrent que dès avant 1300 le quartier des « peskeries » situé le long de la Trouille dans le bas de la ville, abritait, en plus de ces pêcheries, de nombreux autres métiers : brasseries, boucheries, tanneries, moulins, lavoirs et « estuves » ou bains publics. Jusqu’à son détournement en 1872, chacun, donc, y puisait l’eau dont il avait besoin et y rejetait ses effluents, quelque soit le débit de la rivière, fort variable selon les saisons.

A n’en pas douter, certains jours, la bière devait avoir un drôle de goût. Quoiqu’il en soit, l’argent n’ayant pas d’odeur, il semblerait que l’industrie brassicole procurait un important revenu au pouvoir communal, qui prélevait une taxe, appelée la maltôte, à la fois sur la fabrication et sur la vente du breuvage.

Dès le XIVe siècle, les archives permettent de discerner plusieurs variétés de bière telles la Cervoise, la Hambourse, la Goudalle, la Cuelte, la Houppe, ce qui laisse à penser que l’offre était déjà importante

On trouve au XVe siècle le nom des brasseries de Thuing, rue du Cerf-volant (actuellement rue Lamir où passait alors la Trouille) et de Dinant (qui donna finalement son nom à la rue où elle se trouvait).

Concernant celle-ci, la belle pierre qui lui servait d’enseigne et qui datait de 1743 fut volée en 1980, lors des travaux de démolition du bâtiment.

Lors du recensement du 12 août 1559 pour le service d’incendie – c’est aux brasseurs qu’incombait ce service – on comptait à Mons plus de 20 brasseries (pour 15.000 habitants). Malgré ce nombre, beaucoup de manants brassaient eux-mêmes chez eux, tandis que d’autres faisaient fabriquer à façon chez les cambiers, mais au prix fort, ce qui décida le Conseil de Ville de racheter, par mesure d’hygiène, une brasserie afin de permettre aux bourgeois d’y effectuer leurs brassins par louage (1576). On sait qu’elle était située à proximité de celle dite de Thuing.

Les archives nous rapportent également qu’en 1582, les brasseurs obtinrent l’aménagement en chaussée du chemin menant vers les moulins d’Hyon car, ne « pouvant s’y rendre en hiver, cela nuisoit et retardoit le bien public ».

Un édit de 1763 promulgué au « Païs et Conté de Haynaut, par les Magistrats de la Ville de Mons » réglemente non seulement le prix de la bière, mais aussi sa fabrication, et ce dans le but de donner aux troupes de sa Majesté l’impératrice Marie Thérèse « l’aisance de se procurer la Bierre (sic) à prix plus bas, même de faire un choix entre différentes sortes de Bierres, et pour rétablir dans le peuple l’usage de cette boisson ».

Visiblement, à toutes les époques, le pouvoir en place veillait soigneusement à donner au bon peuple ce qu’il attendait.

« Queue de brasseur »
Dessin de l’enseigne disparue de la brasserie « A la Ville de Dinant » par Albert Dehaene. Dans « A travers le Mons d’autrefois. 1936.

Au XIXe siècle, il semble que l’industrie brassicole, à Mons, prospéra particulièrement à partir de 1820. La tradition veut que cette prospérité ait trouvé son origine dans la construction des fortifications autour de la ville. Évidemment, manipuler de tels volumes avec de simples pelles, pioches et brouettes devait donner grandement soif.

Au début des années 1900 elle connut une forte évolution avec l’engouement suscité par l’apparition de la bière blonde sous pression, nouvelle invention appelée du nom de la ville tchèque où elle naquit en 1846 et qui conquit largement nos contrées (la première pils est brassée à Bruxelles en 1886).

Son succès vint du fait que ce mode debrassage révolutionnaire permettait la production d’une bière légère, claire et dorée, à une époque où les bières sont brunes et souvent troubles en raison du résidu de levure dans la bouteille ou le fût. Mais, pour fabriquer ce nouveau type de bière, obtenue à partir d’une fermentation basse, il fallait consentir de gros investissements en matériel de production que seul de grandes entreprises pouvaient effectuer ; sans parler de ceux nécessités par les chaînes d’embouteillage, désormais indispensables depuis l’apparition de la consommation de bière en bouteille.

Pour rester au goût du jour, il fallait donc investir, en augmentant le capital ou en fusionnant avec d’autres, ce que feront les brasseries montoises.

La photo représente la cour de la brasserie Montoise DEVREUX (rue Buisseret)

Après la première Guerre Mondiale, le nombre de brasseries diminua considérablement en Belgique. La raison en était qu’après celle-ci, il y eut pénurie de main d’œuvre, tandis que le matériel faisait défaut, tout simplement par manque de ressources, mais aussi parce que l’occupant avait fait enlever les cuves pour en récupérer le cuivre ; enfin, faute de matières premières, la reprise ne pouvait se faire que lentement et peser lourdement dans les trésoreries.

Tout cela fut fatal à bon nombre d’entre elles. Soit qu’elles ne réussirent pas à reprendre le travail ou, à terme, à se mécaniser suffisamment pour résister à la concurrence.

Dans les années 30, la crise économique n’arrangea rien, puis la deuxième Guerre Mondiale provoqua un nouveau ralentissement qui diminua encore leur nombre. Résultat, en 1946, la Belgique ne comptait plus que 755 brasseries.

Dans les années qui suivirent, la concurrence fut encore plus acharnée, de nombreuses petites brasseries disparaissent ou sont rachetées par les plus grandes. Il n’y en aura plus que 134 encore en activité dans tout le territoire en 1983.

De nos jours, deux tendances se marquent au niveau de la production brassicole : au niveau mondial, des fusions importantes s’opèrent entre grands groupes brassicoles, tandis qu’au niveau régional, on assiste à la renaissance de petites et moyennes brasseries développant des produits variés et de qualité, liés au terroir.

Aujourd’hui, il existe une centaine de brasseries en Belgique avec une gamme de quelques 500 produits différents.

A Mons, des nombreuses petites industries brassicoles montoises qui s’étalaient, depuis le Moyen Age, le long de la Trouille, il n’en restait que 11 en 1894, 7 dans les années 20, et 4 après la libération, en 45. De nos jours, hélas, plus aucune à caractère industriel, la dernière à fermer ses portes fut la brasserie Devreux, en 1973.

Heureusement, depuis, de nombreuses micro-brasseries ont fait leur apparition à Mons, comme le « Brasse-temps », 1, Boulevard André Delvaux ; la « brasserie St-Lazare » , impasse Cambier ; la « brasserie 113 », 113, rue d’Havré ; « Superfoodbeers » au 30, chaussée de Binche ; « La Douffe/ Les caves de St-Georges », 78 Avenue de Saint-Pierre ; « Nini Brewery », 30 Rue des Déportés ; la brasserie « La Montoise », 27 Marché aux Herbes ; « La cours du Malt », 23, rue de la Petite Guirlande, et la « brasserie de Londres », 3, avenue Frère-Orban, espérant n’en oublier aucune.

LES « PETITES BRASSERIES » D’ANTAN

Il n’y a là rien de péjoratif en ce sens que cette dénomination subjective a été choisie pour classifier les brasseries pour lesquelles les documents et les renseignements sont très limités, voici ce que l’on sait :

– Une brasserie dite La Hughenesse, située à la rue des Kiévrois, sur un terrain d’un bonnier comprenant pré, jardin et houblonnières a été achetée le 1er février 1521. (Annales Cercle Arch. Mons-vol.13-p.18)

– En 1680 ; le testament d’une dame dénommée Antoinette Boucault nous apprend qu’elle exerçait le commerce de brasserie dans une maison située au Rivage, tenant à la Trouille, sous la seigneurie d’Hyon.(Stéphane Decarnières)

– La Société coopérative agricole du Hainaut, au 153 de la Chaussée du Roeulx : elle semble n’avoir existé que de 1908 à 1912.

– La brasserie A. Bourlad, au n° 28 de la rue de Dinant, de 1884 à 1901, reprise à cette date par un certain Hacardiaux, Elle a fermé ses portes en 1921, des suites des réquisitions durant la première guerre mondiale.

– La brasserie Philibert Lebrun, située au 105 de la chaussée du Roeulx, également dénommée « Brasserie St-Barthélemi », citéeen 1884.

– La brasserie Saint-Fiacre aux n° 16 et 18 de la rue de la Trouille, dès 1899, devenue brasserie Rodolphe Paternotte de 1900 à 1912 ; puis P. Meurice-Materne veuve de 1912 à 1914 ; enfin, brasserie Meurice de 1914 à 1928.

– La brasserie F. Gandibleu de 1899 à 1902, puis Julien Schottens de 1902 à 1907, avenue d’Havré.

– La brasserie Jules Hubert ,de 1899 à 1911, devenue Jules Hubert-Lamot de 1911 à 1927.

– La brasserie Léon Gourlet-Lechand, de 1902 à 1905, puis George Vandewalle jusqu’en 1914. Comme bon nombre de brasseries à Mons, cette dernière était installée le long de la Trouille, au n°20 de l’avenue du Pont Rouge. C’est un immeuble à appartements qui occupe actuellement les lieux.

– Brasserie Joseph puis Eugène Robette, installée au n°293 de la Chaussée du Roeulx (1899-1910).

– Brasserie Edgar Derhaeg, 15, rue du Petit Trou Oudart et 18, rue du Grand Trou Oudart. Au moins jusqu’à fin 1917.

– La brasserie St-Joseph, tenue par un certain Fr Laitem, dont les seules informations qui nous soient parvenues sont fournies par une carte publicitaire.

Un inventaire dressé vers 1884 mentionne une Brasserie Drion Vve et Bombay ; une Brasserie Benoit ; une Brasserie H. Lievaert et une Brasserie A. Pottier.[1]

NB : Toute information complémentaire précise sur toute brasserie montoise est la bienvenue.

(à suivre)

[1] Source : Eric Leblois « Les amis du verre à bière et des brasseries anciennes ». 1993.

Brasserie Boulaerd à l’angle de la rue de Dinant et de la rue Lamir.
Carte publicitaire de la brasserie St-Barthélémi
Brasserie de M.Léon Gourlet. Carte publicitaire. Collection Paul Pierard
Bouteille de « La Victoria » de la brasserie Boulaerd, rue de Dinant. retrouvée lors de travaux de construction à l’angle de la rue de Dinant. Photo R. Zinga.
Carte publicitaire de la brasserie St Joseph
Etiquette de la brasserie Meurice

LA BRASSERIE PAULET, 33-35 rue de Bertaimont

Cette brasserie a des origines très anciennes puisqu’elle remonte à celle qui dépendait du couvent des Récollets, dont l’installation dans notre ville date de 1238. Le couvent fut supprimé Lors de la tourmente révolutionnaire et la brasserie rachetée par un certain Waroquier qui la céda par la suite à un Mr Paternostre. Vers 1870, elle fut reprise par Gustave Paulet, déjà propriétaire d’une importante malterie doublée d’un commerce de grains pour brasseurs.

Le bâtiment que l’on voit sur la photo fut construit après le gigantesque incendie qui ravagea la brasserie en 1908. Il se trouvait en plein milieu du quartier formé par les rues de Bertaimont, de la Trouille et des Arquebusiers, avec une issue carrossable donnant sur cette dernière.

Plus tard elle prit le nom de « Grandes brasseries du Hainaut ». Une partie de ses activités fut transférée dans de nouveaux locaux situés au n°101 de la chaussée de Binche, et c’est tout naturellement qu’à la fin des années vingt, elle fusionna avec sa voisine, la brasserie Segard pour former la « SA Brasserie Labor-Hainaut réunies ».

Le bâtiment de la rue de Bertaimont fut occupé un temps par une loge maçonnique, avant d’être démoli lors de la reconstruction du quartier de Messines en 1980.

Les Grandes Brasseries du Hainaut. Vue prise en 1980. Collection Pierre Farla
Facture des Grandes Brasseries du Hainaut. 1916.

LA BRASSERIE DU PONT DE LONDRES

Non loin de la Trouille, le long de la rue « du Pont de Londres », se trouvait – et se trouve toujours, formant le coin droit de la rue Jean Lescarts, un bâtiment remarquable de sept travées, bâti dans le style caractéristique montois, malheureusement remanié au XIXe siècle. Celui-ci présente sous un important arc de décharge un large portail dont les lourds vantaux ont conservé des pentures et un cloutage forts anciens. La clé de l’arc de décharge de ce porche affiche la date de 1725, mais probablement s’agit-il là d’une reconstruction de la façade à cette époque car certaines parties du bâtiment sont manifestement plus anciennes (salle au plafond de briques disposées en « cul de four » reposant sur des piliers en pierres).

Cet édifice imposant a depuis fort longtemps abrité une brasserie. La première mention de celle-ci figure dans les comptes du Massart (receveur communal) pour l’année 1488, pour la « rescousse du feu advenu le 14 novmbre 1488 à la Brasserie de Londres, emprès la Gharitte… » (porte des Gérites). Mais, il est fort probable qu’elle soit plus ancienne car l’on sait qu’elle porte depuis 1455 le nom de « Brasserie du Pont de Londres » (du nom du pont sur la Trouille qui se trouvait juste en face, qui lui-même, avait prit le nom d’une maison de commerce voisine). Paul Heupgen rapporte dans ses Vièseries qu’elle aurait été bâtie sur l’emplacement d’un curoir de toiles (sorte de laverie qui, elle aussi, avait besoin de l’eau de la rivière). Remarquons que dans son « Atlas cadastral parcellaire de la Belgique »édité de 1842 à1879 par Philippe Popp , celui-ci indique sur le plan concernant Mons que cette parcelle abrite une brasserie, comme s’il s’agissait tout simplement d’une institution connue depuis des temps immémoriaux.

En 1852, cette ancienne brasserie montoise fut rachetée par un brasseur installé depuis 1829 à Neufvilles, Edouard Caulier et son épouse Augustine Maquez,dont les affaires étaient particulièrement florissantes. En 1870, leur fils Edmond abandonna ce bâtiment pour faire construire, non loin de là sur des terrains récemment libérés par la démolition des fortifications, une nouvelle brasserie plus adaptée à la dimension qu’avait alors atteint son entreprise.

Il semblerait cependant que, de 1899 à 1927, des activités de brassage continuèrent dans le vieux bâtiment sous le nom de « Brasserie Jules Hubert (1859-1942) -Lamot».

En 1934, celui-ci fut racheté et transformé en garage sous l’enseigne de « Garage St-Christophe », mais après 82 ans d’activités dans le secteur de la mécanique et du service aux automobiles, son propriétaire ayant cessé ses affaires, a mis les lieux en vente.

Situation de la « Brasserie du Pont de Londres » sur le plan Pop ca 188!
façade de la « Brassere du Pont de Londres à la fin du XIXe siècle. FAPMC. Remarquez la cheminée et les appareils de ventilation.
Le bâtiment occupé par le garage « St-Christophe.. FAPMC.
La nouvelle brasserie de Londres (photo 2023)

LA BRASSERIE CAULIER

Edouard Caulier, et son épouse Augustine Maquez, sont des brasseurs installés depuis 1829 à Neufvilles. Comme les affaires sont florissantes ; ils décident de racheter en 1855 cette vieille brasserie montoise, la « Brasserie du Pont de Londres », qu’ils confient à leur 3eme fils, Edmond. Et Les affaires marchent tellemnt bien que toute la famille vient habiter à Mons tout en continuant de gérer Neufvilles.

Après le décès de son père, Edmond Caulier continue de développer seul l’entreprise familiale et effectue d’importants investissements. En 1869, il décide d’ouvrir une troisième brasserie, à Bruxelles, près de la chaussée d’Anvers. En 1870 il fait construire à Mons de nouveaux bâtiments sur un terrain récemment libéré par la démolition des fortifications qui occuperont tout l’espace situé entre le boulevard Dolez et les rues actuelles des Archers, Frère-Orban et du Chanoine Puissant.

Sous l’impulsion d’Edmond, les trois brasseries connaissent un véritable essor, à tel point qu’il est considéré comme l’un des meilleurs brasseurs de Belgique. Il obtient une médaille d’or à l’exposition d’Anvers pour la qualité de ses produits et ceux-ci s’écoulent jusque dans les pays voisins. Bourgmestre de Neufvilles, son village natal, il est élu sénateur en 1892, puis est fait chevalier de l’Ordre de Léopold par le roi.

En 1893, lors de son décès, son fils Louis reprend le flambeau. Lorsqu’en 1923 celui-ci décède à son tour sans héritiers, ce sont les gendres de sa sœur Laure qui continuèrent les activités des trois sites, Neufville, Bruxelles et Mons, sous la dénomination « Caulier frères », dont le siège social se trouvait à Bruxelles.

En 1926, le produit phare de la brasserie était, « La Perle 28 Caulier ». Pourquoi 28 ? Parce qu’il s’agissait d’une bière à fermentation basse contenant 28 kilos de grains à l’hectolitre. Elle connaît un succès fulgurant, bientôt deux millions de litres sont produits chaque année. Bien entendu, en plus des autres bières spéciales : La saison, la Super Pils, l’Extra Belge,Speciale, Scotch Ale,Prince’s Ale, Super 56, Royal Crown Stout, Double Saison, dont la production n’a pas arrêté.

En 1935, la brasserie de Neufvilles devenue trop exigüe, cesse ses activités, et plus tard, le 30 septembre1960, les brasseries Caulier fusionnent avec la brasserie Labor, la brasserie Impérial, d’Anderlecht, et d’autres, pour former, le 29 mai 1964, la « SA Brasserie de Ghlin » dont les unités de production furent rassemblées dans un nouveau complexe industriel construit dans le zoning de Ghlin, le long du canal.

Les bâtiments du boulevard furent démoli vers 1965 pour faire place à celui construit par la banque de la Société Générale, devenue entre-temps BNP-Paribas-Fortis, qui a été racheté en 2021 par l’UMons pour y installer les facultés de droit et de sciences sociales et humaines.

La majestueuse entrée de la Brasserie Caulier. Carte postale. début XXe s. Edition Caulier. Collection de l’auteur
L’entrée de la Brasserie Caulier dans les années 50. FAPMC.
Brasserie Caulier, les ateliers. FAPMC.
Brasserie Caulier, les ateliers. FAPMC.
Brasserie Caulier. FAPMC.
Une des entonneries avec un brassin en fermentation. Carte postale. Edition Caulier. Collection de l’auteur
Brte postale. Ed. Caulier. Coll. de l’auteur

LA BRASSERIE SEGARD puis « LABOR »

Face au château Hardenpont, au n°69, chaussée de Binche, s’était installée en 1885 une petite brasserie fondée par un certain Célestin Ségard, originaire de Meslin l’Evêque. Malheureusement celui-ci décède prématurément en 1895, à l’âge de 46 ans, mais sa veuve décide de continuer l’activité avec l’aide de son fils, Valère, qui, à 14 ans, abandonne ses études pour la seconder.

Ils y réussissent plutôt bien et, grâce à une habile politique de fusion menée par Valère Segard, l’entreprise connaît un fort développement : reprise, après la première guerre mondiale, de la brasserie « St Pierre et St Ghislain » de Vaulx près de Tournai, de la brasserie « Labor » de Braine-le-comte., puis enfin association avec la brasserie Deflandre, de Braine le Comte, pour former la « SA Brasseries Labor, fusion Ségard – Deflandre ».

Le nom « Labor » (travail, en latin), et son emblème -, aujourd‘hui on dirait son logo – une ruche, donne une idée de la valeur que ces brasseurs accordaient au travail.

Cette dénomination commerciale fut utilisée jusqu’en 1928, où, suite à la fusion d’avec les « Grandes Brasseries du Hainaut », elle devint « sa Brasseries Labor – Hainaut réunies ».

Un peu plus tard, au début des années trente, d’autres fusions eurent encore lieu avec des brasseries situées à Saint-Ghislain et à Haine-Saint-Paul, et la société devint alors « sa Brasseries Labor » tout cours.

A ce moment elle était à son apogée et employait plus de 400 personnes. Le site de production s’était considérablement élargi par la construction de nombreux bâtiment autour de l’ancienne maison familiale, à front de la chaussée de Binche. De nombreux véhicules effectuaient les livraisons dans toute la région.

Il y en avait alors autant à moteur que tirés par des chevaux. Les « qu’vaux d’el Brasserie Labor » sont célèbres pour avoir tiré de nombreuses années de suite, sans jamais faillir, le Car d’Or, lors de la procession de la Trinité. Malheureusement le progrès les a fait disparaître, les derniers, Baron et Olga, ayant fait leur ultime tournée en septembre 1959.

En 1964, vint la fusion avec les brasseries Caulier, Impérial et « Cousin-de Rauw » et le déménagement vers le zoning de Ghlin pour former la « sa Brasserie de Ghlin ».

Les bâtiments de la chaussée de Binche furent rasés en 1978-1980 pour laisser la place à un centre commercial.

Marques de bières commercialisées: Belge, Bière d’Alsace, Bière de Table Brune, Blonde Speciale, Blonde, Bock, Brune Spéciale, Brune, Export Labor, Extra, Hainaut, Hanna Pils, Kriek Faro, Mars, Match, Match Special Belge, Munich, Only Original Stout, Only Stout 733, Original Pale-Ale, Phebus Lager, Phébus, Phébus Export Labor.

Enseigne publicitaire BIERES SEGARD au dessus de l’entrée de débits de boisson. Collection de l’auteur.
Les « queues de brasseurs » de la maison Ségard au départ de la tournée. Photo anonyme. Collection Jacques Fourneaux.
En-tête de facture des Brasseries Labor-Hainaut réunies. Collection de l’auteur.
Enseigne publicitaire BIERES SEGARD au dessus de l’entrée de débits de boisson. Collection de l’auteur.
Société Anonyme Brasseries LABOR-HAINAUT réunies. Edition De Muynck. Collection de l’auteur.
Le parc automobile de la brasserie Labor. Carte postale. Edition De Muynck. Collection de l’auteur.
Brasserie Labor : les cuves en cuivre rouge. Carte postale. Collection de l’auteur
Brasserie Labor : l’embouteillage. Carte postale. Collection Richard Benrubi.

LA BRASSERIE DE GHLIN – BRASSICO

Pour ce nouveau groupe, « S.A. Brasserie de Ghlin », le ballon d’oxygène des années 1960 ne fut pas suffisant pour éviter les difficultés financières, et, au début des années 70, il fut repris par le deuxième brasseur américain de l’époque : « Schlitz » , qui bénéficia pour ce faire d’importants subsides de l’Etat. Par cette reprise, les noms des bières Labor disparurent définitivement, Schlitz ayant seulement l’intention de créer une tête de pont sur le continent européen pour imposer ses bières américaines. Ce fut un échec, car un point important avait été perdu de vue : respecter le goût, les besoins et la tradition du marché où on s’implante, surtout dans un pays brassicole comme la Belgique. Après la faillite de Schlitz, le premier-ministre, Edmond Leburton, intervint auprès des deux plus grandes brasseries belges de l’époque, Piedboeuf et Artois, afin qu’elles s’entendent pour poursuivre les activités de la Brasserie de Ghlin. (Soit dit en passant, cette entente, d’abord secrète, allait, à terme, mener à la création d’un nouveau groupe brassicole dénommé Belbrew, puis Interbrew, devenu depuis Inbev, avant de fusionner en 2008 avec Anheuser-Busch pour former le groupe Anheuser-Busch InBev).

Donc, en 1971, est créée la S.A. Brassico, et de gros investissements sont consentis sur le site de Ghlin en vue de produire et de distribuer une pils, la « Jupiler 5 », qui allait devenir le cheval de bataille de Piedboeuf. Malheureusement, vingt ans plus tard, pour des raisons de restructuration au sein du groupe, face à une concurrence de plus en plus acharnée, la direction décida la fermeture du site ; et, le 2 juillet 1993, on procéda à un dernier tirage de la désormais célèbre « Jupiler », mais exclusivement réservé au personnel de l’entreprise.

LA BRASSERIE TONDREAU, 18 rue Lamir

Pour la petite histoire, les archives nous apprennent qu’en 1663, une brasserie dite de « Saint Louis » s’est installée dans une maison située le long de la Trouille, où se tenait auparavant une étuve portant le joli nom d’ « Estuve du Dieu d’Amour » – ce qui, soit dit en passant, en dit long sur ce qui s’y déroulait. C’est la raison pour laquelle Monsieur Tondreau découvrit dans la cave du bâtiment un panneau en céramique représentant les « Trois Grâces », appartenant probablement à ce bain public, et qu’il s’empressa de faire réinstaller dans sa salle à manger, au premier étage.

Mais revenons à la brasserie. On sait qu’en 1787, un certain Eugène Dumont y habite, puis en 1797 un certain Pierre Clément. C’est à ce dernier que François Joseph Pécher racheta l’entreprise, en 1802. A sa mort, son frère cadet, Adolphe, lui succéda. Mais celui-ci est mieux connu pour avoir, en tant qu’échevin des Travaux Publics de la Ville, pris en charge dans les années 1870 le détournement de la Trouille et l’aménagement des boulevards, travaux gigantesques qui ont suivi la démolition en1863-1865 des fortifications ceinturant la ville. En reconnaissance de quoi on donna son nom à, une rue située dans le quartier du Béguinage.

Lors de sa disparition en 1899, un autre Pécher lui succéda, Paul. En 1907, Charles Tondreau, ingénieur chimiste de formation, lui racheta, avec l’aide de son père, la brasserie. Il n’avait que 24 ans, et beaucoup de tempérament. C’est notamment à lui qu’on doit la fondation, en 1910, avec son frère Maurice, du club de football qui deviendra plus tard le RAEC, et dont il deviendra le président.

Lors de la guerre 14-18, la salle de brassage construite en fer, et non en cuivre comme à l’accoutumée, évita à la brasserie d’être démembrée par les allemands et put continuer tant bien que mal son activité. Pendant les années 1920-1930, on l’a vu, les goûts ayant beaucoup changé, il fallut lancer de nouvelles créations pour étoffer la gamme produite par la brasserie, et les affaires redevinrent florissantes.

Mais la guerre 40-45 marqua l’arrêt de la production des bières denses, le rationnement ne permettant plus que de brasser des bières à 0,8°. A la fin de celle-ci, la production est relancée, d’autant qu’il fallut brasser également pour le compte de la brasserie Pécher de Boussu, qui avait été partiellement détruite. Et, une nouvelle fois, l’abondance revint, mais, comme la majorité des petits établissements la brasserie Tondreau n’en profita pas pour travailler à se moderniser en automatisant au fil des ans la production aussi, fin 1966, la fabrication s’arrêta, victime de la grande mode des bières blondes industrialisées.

Marques de bières commercialisées : La première bière brassée est une bière de type Bock, et dès le début, une bière de table : la Cervoise Montoise, en fut ou en bouteilles. En 1934, apparaît la Triple Dorée et la 1060 en bouteilles de 33cl avec capsule. En 1939, la Pils Houblodor est déjà sur le marché, et en 1952 la Grain d’Or viendra remplacer la Cervois montoise. La Supra Houblo brune de 6°était la plus connue(elle est toujours produite, d’abord à la brasserie Lefebvre à Quenast puis à la brasserie de Silly), Puis vient en 1958 la Supra 7, une bière ambrée de 7°. Il y eut aussi les R.A.E.C., Stout,, et Double Extra.

La brasserie Tondreau dans les années soixante. Photo. Archives de la famille
La brasserie Tondreau dans les années soixante. Photo. Archives de la famille
La brasserie Tondreau dans les années soixante. Photo. Archives de la famille
La tournée de livraison de la brasserie Tondreau. Photo. Archives de la famille.
Facture de la brasserie Tondreau
L’entrée du stade Tondreau avant-guerre
Membres du personnel de la brasserie Tondreau et Caulier participant à la procession de Mons
Membres du personnel de la brasserie Tondreau participant à la procession de Mons

LA BRASSERIE DEVREUX, 60 – 76 rue Buisseret (actuellement Fernand Maréchal)

Florimont Devreux (1841 -1902) s’installe à Cuesmes comme entrepreneur de travaux. C’est lui qui réalisa notamment, en 1892, l’immeuble de la banque nationale au coin de la rue de la Houssière et d’autres bâtiments de moindre importance à Mons et à Cuesmes. En 1892, il construit sa maison particulière à la rue Buisserret à côté de ses entrepôts et ateliers. Son fils, Fernand (1870-1949) lui succède comme entrepreneur, puis décide, en 1910-1911, de construire pour son propre fils, Fernand II (1895-1943), une brasserie car, avec les nouvelles disponibilités de forces motrices, celles-ci sont à ses yeux porteuses d’avenir, et il le pousse à entamer des études de brasserie à Gand (1913).

Il est utile de signaler ici que créer une telle entreprise n’est pas une mince affaire, en effet, lors de l’implantation d’une nouvelle brasserie, la présence d’une source d’eau est nécessaire, et dans le cas de la brasserie Devreux, il fallait puiser celle-ci à plus de 70 mètres de profondeur (avec un débit de 2 m³ / heure et une température de 12 degrés).

Dès le début de la guerre, en 1914, la réquisition des cuves en cuivre par les Allemands réduit considérablement l’activité, et pour continuer, la brasserie a dû s’équiper avec du matériel disparate et non adapté qui n’a pas été favorable au chiffre d’affaires. En 1919, une production normale peut reprendre et Fernand II décide de moderniser ; Il remplace le réchauffement à feu nu par un système de chauffage au départ de deux chaudières à vapeur, l’une pour les bières de table, l’autre pour les bières de haute densité.

En 1923, pour répondre au souhait de la clientèle, une première bouteillerie est installée. Elle sera déplacée par la suite, en 1936, pour laisser place à des cuves de fermentation en aluminium installées dans des caves réfrigérées (pour éviter que la bière ne se trouble et ne forme un dépôt avant d’être soutirée en bouteilles) en lieu et place des vieux foudres en bois.

Au début de la guerre 40-45, l’activité s’arrête, Fernand II étant gravement malade, puis reprend, imposée par les Allemands mais sous la direction de son épouse et avec l’aide du plus jeune frère, Paul, alors âgé de 16 ans. A la fin de ses études, en 1941, André, le fils aîné de Fernand II, né en 1922, est envoyé en Allemagne comme travailleur obligatoire. De retour pour les obsèques de son père en 1943, il en profite pour se cacher dans différents lieux jusqu’à la fin de la guerre.

On le voit, les temps étaient durs et les difficultés sans nombre : manque d’approvisionnement en matières premières essentielles, impossibilité d’entretenir le matériel et le camion, faute de pièces de rechange. Faire appel à des chevaux ? A peine mis en service, ceux-ci furent réquisitionnés par l’occupant. Mais le pire, c’était que la seule bière autorisée à l’époque, en raison de la carence en matières premières, ne pesait que 0,8° au lieu des 5,5° habituels.

Enfin, en 1946, l’activité put reprendre, avec la production de bières de ménage, du Stout et de la Ferdé. En 1955, suite à la demande accrue de bière de fermentation basse, une adaptation du matériel permettant de fermenter à 10° s’impose.

De nouvelles productions voient encore le jour en 1960 et 1967, mais en 1973 la rentabilité n’étant plus là, face aux géants pouvant produire 50.000 bouteilles à l’heure, la brasserie cesse toute production, et les bâtiments ne servent plus que de dépôts (jusqu’en 1976) à la brasserie des Alliés de Marchienne au Pont,qui avait repris la clientèle.

Actuellement, l’ancienne brasserie appartient toujours à la famille, ainsi que la maison d’habitation familiale située à l’autre bout du jardin. Transformé en restaurant, le bâtiment garde néanmoins quelques témoins de l’ancienne activité brassicole.

Marques de bières commercialisées: Bière de Table supérieure, Blonde Spéciale, Bourlette, Brune, Ferdé (FERnand DEvreux) bière de fermentation haute titrant 5,5° de densité, La Boraine (1930), La Provision, la Mastell, la Pils Lager Bier, Première catégorie, la Réserve Spéciale, la Spéciale Mastell, un Stout, la Triple Spéciale.

La brasserie Devreux. Photo prise depuis la maison familiale. Archives de la famille.
La cour de la brasserie Devreux
Photo des enfants Devreux
Le personnel de la brasserie Devreux
Préparation de la tournée de la brasserie Devreux.

Les ouvrages de Philippe Yannart sont disponibles | Mons Blog

Philippe Yannart est ingénieur en sciences nautiques et fut officier de marine marchande de 1969 à 1976, avant de réintégrer l’entreprise familiale spécialisée dans le commerce du bois et portée par cinq générations. Ex gérant de société , il a trouvé pourtant le temps pour s’investir dans diverses associations telles que le Cercle archéologique, la Maison de la Mémoire ou les Montois-Cayaux, dont il est maintenant le président, pour écrire en patois, donner des conférences sur sa ville natale, rédiger des notices historiques et écrire divers ouvrages consacrés à Mons et à son passé. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dédiés à la Cité du Doudou : Mons en Images à la Belle Epoque, Mons, moi, je connais, Le Secret du Gouverneur de Mons, Les Enseignes montoises, A Mons avant la Grande Guerre, Mons la septième Porte, l’épée de l’Empereur, Pourquoi la tour de sainte-Waudru… histoire de la collégiale sainte waudru.

Vous pouvez le contacter via son mail et lui commander ses ouvrages (frais de port 9 euros) : ph.yannart@hotmail.com