Dossier réalisé par Philippe Yannart
L’édifice le plus voyant de la ville est, bien sûr, le beffroi, dit aussi le Château. Aux XIIe et XIIIe siècles, dans les villes des Pays-Bas, le beffroi était le symbole du pouvoir communal, au même titre que la Maison de la Paix ou l’Hôtel de Ville. Mais ce n’est pas à cet endroit que s’érigea le premier beffroi montois. Á l’époque de la constitution communale de Mons, celui-ci était située en haut de la rue Samson dans une tour contenant à la fois les cloches des églises de Sainte-Waudru, de Saint-Germain et de la Ville, qui y avait deux cloches : l’une dite du jour qui sonnait les heures et l’autre dite des ouvriers, qui signalait le moment du début du travail et sa fin ainsi que l’heure d’ouverture et de fermeture des portes de la ville (qui n’était pas la même en été et en hiver) ou encore qui sonnait pour des circonstances bien déterminées par le Magistrat.
Vers 1530, suite à une longue querelle obstinée entre les deux chapitres à propos de l’usage des cloches, le Magistrat de Mons prit à disposition l’une des tours de l’enceinte castrale du château des comtes de Hainaut. Celle-ci avait, bien entendu, été construite dans le but de renforcer la défense des lieux en tant que point culminant de la ville, mais l’avantage était qu’elle permettait d’embrasser le plus large point de vue possible sur la ville et les environs. Il ne faut, cependant, pas confondre cette tour avec le donjon du châtelain de Mons situé à l’extrémité ouest du plateau (voir rampe du château et rue de la Tour Auberon).
Comme on l’a dit, c’était évidemment l’endroit stratégique pour prévenir des attaques ennemies, des feux et autres dangers, de nuit comme de jour, mais il est plus probable que cette construction ait été, aussi, élevée dans l’optique de concurrencer les chanoinesses et leur collégiale qui incarnait alors le centre de gravité de la cité et pour laquelle une très haute tour-clocher était prévue. Dans cette optique, il s’agissait donc d’une affirmation du pouvoir civil par rapport au pouvoir religieux. C’est à dire que, lorsque la ville prit son essor, le beffroi permit aux autorités communales de rivaliser symboliquement avec les pouvoirs plus anciens : l’Église avait ses clochers, les Seigneurs avaient leur donjon, la Ville devait avoir son beffroi, qui incarne le symbole des libertés communales ainsi que l’identité de la Ville. Le but de la construction d’un beffroi est donc multiple : un but de défense mais aussi de concurrence, de rassemblement et de prestige.
La Tour rouge ou de briques entre Ste-Waudru et St-Germain contenait également les cloches communales.
En 1361, la tour de l’horloge comportait 13 cloches du fondeur Van Harelbeke. Dans cette tour de l’enceinte castrale qui servait, donc, aussi de beffroi au Magistrat, ce dernier fit placer en 1380 une horloge et une cloche servant à sonner les heures et le tocsin. D’où l’origine du nom de « Tour à l’horloge » qu’elle prit dans le langage populaire (on l’appelait aussi « Tour ronde », de par sa forme). Cette horloge sonnait aussi l’heure d’ouverture ou de fermeture des portes de l’enceinte. L’entretien, le paiement des gages de l’horloger et des guetteurs de jour et de nuit, furent, cependant, à la charge à la fois du Souverain et de la Ville, par moitié.
Les archives nous apprennent aussi que le 17 mars 1527, Jean le Prureaux, horloger, demeurant à Valenciennes, eut la charge de faire une nouvelle horloge pour la Tour du Château. Elle fonctionna dès le mois d’octobre. Ensuite, que le mercredi 5 septembre 1548, la Tour de l’horloge ayant été enveloppée dans l’incendie qui réduisit en cendres l’Église St-Germain et un grand nombre de demeures aux alentours, il fallut la reconstruire et faire fabriquer une nouvelle horloge à carillon. Ce travail fut confié à Pierre Jugle, horloger à Grammont, qui en fit la livraison en 1553. « … Une horloge que ledit maistre Pière avoit emprins de faire livrer, mettre et poser sur la thour du chasteau de laditte ville de Mons, avecq registre et clavyer pour sonner les appeaulx et y jouwer toutes sortes de chansons en deux ou trois parties, en pendant touttes cloches à ses despens, sauf la plus grosse … doyant le tout de l’ouvraige de laditte horloge peser huit à noef mil livres… [1]»
Dans ce carillonse trouvait aussi la grosse cloche dite de Justice, fondue par Nicolas Delecourt, de Cambrai : « Pendant le cours du mois de mars 1551, nous dit l’annaliste Gilles de Boussu dans son « Histoire de la ville de Mons » publiée en 1725, on fondit la grosse cloche du château qui servait à sonner l’heure. Elle portait cette inscription : « Je suis Auberon, lequel pour mes exploits ferai entendre heure, feu, effroids, de par Nicolas Delecourt, né de Cambray, sert à chacun mon son horrible, aussi ferai ouïr, quand, jusques au sang, crime on voudra punir, suis faite en mars à dire Cour, en l’an 1551. » On y voyait les armes de Charles V, de la maison d’Epinoy, des États et de la Ville. Elle fut cassée en 1706.
[1]Léopold Devillers . Inventaire analytique des Archives de Mons, tome II. Manceaux, 1888.
Cette Tour à l’horloge s’écroula subitement le 21 avril 1661. Voici la façon dont Gilles de Boussu rapporte l’événement dans son « histoire de Mons » parue en 1725 : « La grande tour appelée vulgairement le château de Mons, tomba le 21 avril à trois heures et un quart du matin, sans avoir cependant fait d’autres dégâts que d’écraser une maison ou deux qui y tenoient, appartenans à Jean Petit, parce qu’elle s’abîma sur ses fondemens. Une chose assez remarquable arriva, c’est que le guet qui étoit au bout ne fut pas tué ». Quand elle s’écroula, elle avait un carillon de 19 cloches placé en son sommet, fondu en 1544 par le fondeur malinois Jacques Waghevens. De cet ancien carillon, il n’est rien resté.
Les échevins décidèrent qu’il fallait redonner sans délai une tour à la ville et pensèrent, alors, qu’il serait opportun de plutôt participer à la construction de celle prévue à Sainte-Waudru. C’est encore Gilles de Boussu qui nous le rapporte : « On proposa aux chanoinesses de l’élever sur les fondements de celle commencée au pied de leur église, ce qui aurait fait un effet merveilleux. Elles goûtèrent assez cette proposition mais, quoique la Ville en fît toutes les dépenses, elles prétendoient d’être les maîtresses des cloches. Les Magistrats ne pouvant trancher sur un point aussi de conséquence que celui-là firent alors jeter les fondemens de cette belle tour que l’on voit dans l’endroit où étoit l’autre[1]. »
C’est ainsi que le beffroi de Mons fut reconstruit au même endroit que la tour effondrée, rue des Gades. Le terrain, bien qu’administré par la Ville étant la propriété du comte de Hainaut (alors le roi Charles II d’Espagne), ce dernier accorda un crédit pour la construction, aide qui se justifiait puisque la tour servait aussi au guet en cas d’invasion étrangère en même temps qu’à la vigile en cas d’incendie, tant à Mons que dans les villages proches, mais c’est la Ville qui assuma la fonction de maître de l’ouvrage lors de la reconstruction.
Les décombres furent rapidement déblayés et dès le mois d’octobre 1661, Louis Ledoux (ou Le Doulx), architecte et sculpteur montois, fut désigné comme auteur de projet, mais il n’acheva pas son œuvre car il mourut en 1667 à l’âge de 51 ans. La construction du beffroi fut terminée par le bruxellois Vincent Anthony, qui était son associé pour le projet et qui, par ailleurs, travaillait à la reconstruction de l’église Saint-Nicolas, détruite par le feu en 1664.
[1]Gilles-Joseph De Boussu. Histoire de la Ville de Mons, ancienne et nouvelle. Chez Nicolas Varret. 1725.
L’architecte Ledoux avait proposé plusieurs projets dont certains représentaient une tour octogonale, mais, en avril 1662 le Conseil de Ville choisit le modèle de tour carrée, jugée par celui-ci : « tour toute simple et sans ornement à hauteur du château. » La pose des premières pierres eut lieu le 13 juin 1662, et les travaux des fondations commencèrent immédiatement alors que le projet définitif ne fut approuvé que le 12 juillet 1662. Les travaux s’achevèrent le 5 juin 1671, soit dix ans après la pose de la première pierre[1]. La construction de cet édifice prestigieux obéra forcément les finances communales comme autrefois la construction de l’Hôtel de Ville mais, cette fois-ci, le bâtiment sera achevé « jusqu’au sommet de la charpente, jusqu’aux girouettes et épis dorés ». Les cloches (36 en tout selon De Boussu) furent pendues en 1673 et en 1674 ; quant à l’horloge elle fut installée en 1674.
Le Beffroi de Mons illustre le style baroque sobre, avec un décor classique. Les murs sont en grès de Bray tandis que les ornements, y compris les colonnes et les pilastres portants, sont en pierre bleue. La base est enclavée dans la muraille médiévale du château tandis que les trois niveaux supérieurs affichent trois « ordres » différents : toscan, ionique, et le troisième, qui n’est pas corinthien comme l’exige l’inspiration classique, mais est marqué de hautes volutes aplaties aux spires comprimées. Les niveaux présentent des baies au décor chargé mais à encadrement sobre et simple ; ils sont séparés par des corniches saillantes soutenues par de larges consoles et sont décorés de balustrades à balustres bombés et de sphères à protubérances. Les lucarnes au niveau des combles sont également abondamment décorées.
Les cadrans de l’horloge disposés sur chacune des faces orientées aux quatre points cardinaux ont un diamètre de 4 mètres. L’ancien mouvement d’horlogerie à poids, toujours existant, est remarquable de qualité, à la fois, technique et esthétique (actuellement les aiguilles des cadrans sont mues à l’électricité).
Ce qui caractérise le plus le Beffroi de Mons, le seul de style baroque de Belgique, est sans doute la charpente en bulbe qui le domine. On dit que celui-ci est l’édifice présentant cette caractéristique situé le plus à l’Ouest de l’Europe. Cette tradition venue d’Orient, de Constantinople, et introduite en Europe lors des conquêtes de territoires par les Ottomans, s’étendit depuis l’Autriche puis par la Bavière, la Forêt noire, le Luxembourg et enfin, par Namur, parvint en Hainaut au plus tard au XVe siècle. Le bulbe principal est surmonté d’une lanterne d’où la vue s’étend au loin.
[1] Extrait des « Annales du Cercle Archéologique de Mons » Tome XLVI .
Actuellement, le « Lion Belgique », les armes du Hainaut, celles de la Ville et celles du dernier châtelain sont visibles sur les quatre faces de la tour mais au moment de son édification, celles des châtelains (les Havré, Croy) et du grand bailli y étaient sculptées. Elles furent martelées en 1794, les autorités républicaines ayant décidé, le 8 janvier, d’ôter toutes les marques, armoiries et signes rappelant la féodalité et l’ancien régime (une partie des cloches fut également enlevées en 1794,)[[1]](https://www.facebook.com/groups/523240475197474#_ftn1).
Le beffroi mesure 85,70 mètres de hauteur, selon le levé effectué avant sa récente restauration. Sa largeur à la base est de 13,25 mètres. C’est le beffroi le plus récent du pays et l’un des plus élevés (celui de Bruges mesure 80m, celui de Tournai, le plus ancien, est haut de 72 mètres. Cette hauteur est encore amplifiée par sa position au sommet de la butte (la base se situe à la cote 60 mètres, soit 26 mètres au-dessus du niveau moyen des boulevards). L’édifice ne compte pas moins de 365 marches… Un chiffre symbolique, raconte-t-on à Mons. L’intérieur est en briques et en charpente de bois. C’est un escalier en vis étroit qui menait aux cloches (actuellement un ascenseur permet d’accéder à celui situé en dessous)
A l’origine, la fonction du Beffroi était avant tout utilitaire. En effet veilleurs et sonneurs s’y sont relayés durant de nombreuses années car dès la fin des travaux de construction, un service de surveillance de la ville vit le jour. Quelques courageux annonçaient l’heure du haut de la tour, par tous les temps. Á 23h, le couvre-feu était annoncé et la ville plongeait dans un sommeil profond. D’après les archives de la Ville, le dernier veilleur qui en eut la charge (jusqu’en 1858) s’appelait Joseph Verly.
En 1845, devant l’état de délabrement de l’édifice et le danger qui en résultait, l’Administration Communale – on disait alors « la Régence » – décida d’entreprendre sa restauration. Il avait plus de 175 ans. L’obtention de subsides auprès de l’État et la Province fut laborieux et ne trouva sa conclusion qu’en 1849. Les travaux durèrent 17 ans, et leur coût allait s’élever à près de quatre fois le montant du devis initial.
Le beffroi de Mons est classé depuis le 15 janvier 1936, et relève du Patrimoine majeur de Wallonie. Il est reconnu par l’UNESCO depuis le 1er décembre 1999, dans le cadre des « Beffrois de Belgique et de France ».
[[1]](https://www.facebook.com/groups/523240475197474#_ftnref1)Christiane Piérard. Revue Belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art. 1985.
La plus célèbre description de celui-ci est sans doute celle de Victor Hugo qui, de passage dans la cité montoise, envoya à son épouse Adèle ces quelques lignes :
« Je t’ai promis de te reparler de Mons. C’est en effet une ville fort curieuse. Pas un clocher gothique à Mons, car l’église chapitrale de Sainte-Waudru n’a qu’un petit clocheton d’ardoise insignifiant ; en revanche la silhouette de la ville est chargée de trois beffrois dans ce goût tourmenté et bizarre qui résulte ici du choc du nord et du midi, de la Flandre et de l’Espagne. La plus haute de ces trois tours, bâtie sur l’emplacement de l’ancien château, et, je pense, vers la fin du XVIIe siècle, a un toit vraiment étrange. Figure-toi une énorme cafetière flanquée au-dessous du ventre de quatre théières moins grosses. Ce serait laid si ce n’était grand. La grandeur sauve. » (Victor Hugo, Bruxelles, 18 août 1837).
De nos jours, des travaux de restauration de la tour eurent lieu de 1983 à 2014, soit trente et un ans. S’ils durèrent si longtemps, c’est parce que les restaurations à effectuer s’avérèrent nombreuses et colossales en termes de coût alors qu’au départ, on n’avait pas vraiment mesuré l’ampleur des réfections à réaliser. Dans les années 1960, tout le monde savait qu’il était en mauvais état mais personne n’imaginait qu’il était autant menacé. Jusqu’en 1965, date à laquelle la grande bannière est tombée lors d’une tempête. Cette chute fut le premier signal d’alarme. En 1976, ce fut la console de pierre qui soutenait le premier balcon qui s’est brisée et est tombée dans le parc, c’est alors que les services techniques de la Ville et le Conseil Communal se sont dit qu’il fallait intervenir. Un relevé du bâtiment fut lancé pour lister l’ensemble des problèmes puis il fallut sensibiliser les pouvoirs publics. En septembre 1983 des budgets pour démarrer les travaux furent enfin accordés. Mais pour restaurer de fonds en combles un tel édifice, il a fallu travailler par phases, tout simplement pour recevoir les subsides au fur et à mesure. De plus, les surprises furent nombreuses qui ont retardé les travaux, et le manque de subsides et les problèmes administratifs ont encore allongé la durée. En plus, le projet dut être modifié plusieurs fois[1]. Les travaux confiés aux architectes Dupire-François ont coûté 6,2 millions d’euros.
Actuellement, il abrite en son sein un centre d’interprétation dédié à son histoire et à sa reconnaissance en tant que patrimoine UNESCO,que l’on peut visiter.
[1]Richard Benrubi dans la Gazette des Montois Cayaux et le journal de « Visit Mons ».
Le beffroi abrite à son sommet un carillon de 49 cloches, historique et de composition hétéroclite. Il totalise un poids de bronze de 24.874 kilogrammes, ce qui en fait un des plus lourds de Wallonie. Son histoire est évidemment longue :
Une chronique rapporte : « Le 3 septembre 1759, Louis Leblanc, horloger à Soignies et N. Philippon, organiste à Saint-Germain, firent une inspection détaillée du carillon, qui fut jugé très défectueux. Aussi, le 30 août 1760, fut passé un contrat avec Nicolas Chevresson, Louis Simon et Claude Duforest, fondeurs de profession, pour la fonte et refonte de onze cloches (…) Ces travaux privèrent les Montois de leur carillon pendant un an et demi. Le 9 avril 1761, après avoir travaillé pendant une année et demie entière à un nouveau tambour pour l’horloge du château, le carillon de l’heure et de la demi-heure, pendant lequel temps le carillon ne sonnait plus, le nouveau fut enfin en état de jouer pour la première fois aujourd’hui fête de Sainte Waudru. Le nombre des cloches étant plus grand, il dure beaucoup plus longtemps qu’auparavant. Par l’adjonction des deux petites cloches ut et mi, le nombre des cloches du carillon fut porté de 35 à 37. Le 7 août 1821, il fallut de nouveau faire refondre six cloches : un contrat fut passé, à cet effet, avec les fondeurs de cloches Drouot et Habert. Ces cloches pesaient environ 3530 livres Hainaut et donnaient les notes ut, ré, mi, fa, sol, de la 2è octave, et sol de la première. »
En 1770, Flincon fond 15 cloches pour le carillon. Les cloches de 1821 sont l’oeuvre de fondeurs itinérants. En 1911, Félix Van Aerschodt élargit le carillon à 47 cloches, en ajoutant cinq cloches provenant de ses fontes.
En 1953, le carillon est soumis à une forte restauration, sous la direction de Geo Clément, en compagnie de l’horloger Van Rie de Quaregnon. Le bâti est entièrement renouvelé, le clavier et la cabine sont reconstruits à neuf. Une nouvelle étape de rénovation eut lieu en 1985 : renouvellement de la mécanique, du clavier, et ajout de deux cloches par Eijbouts.
On y trouva notamment les carillonneurs Fernand Redouté, titulaire de 1906 à 1935, Geo Clément, titulaire de 1935 à 1968, ensuite, conjointement, Paula Van de Wiele et Elisabeth Duwelz. Depuis 2014, le savoir-faire des carillonneurs a été reconnu par l’UNESCO en tant que Patrimoine immatériel de l’humanité.
Le monument Fernand Redouté
(Les cahiers des Montois Cayaux 11 novembre 2021)
Le départ de la rampe du château connut jusqu’il y a peu un monument dédié à Fernand Redouté, maître de cloches, (1882-1951), œuvre de René Harvent. Celui-ci avait été inauguré en1951 près de la maison qu’il occupait au pied de la rampe du château, en hommage à ce talentueux carillonneur qui, de longues années durant, emplit les rues de Mons de notes joyeuses et légères.
Fernand Redouté fut en fonction au clavier du carillon du beffroi de Mons à partir de 1906. C’est lui qui, par son talent, sauva celui-ci de la destruction lors de la guerre 1914-1918. On le sait, les Allemands avides de métaux non-ferreux réquisitionnaient tous les objets en cuivre, laiton ou bronze et notamment les statues et les cloches, pour les fondre et fabriquer des armes et des munitions.
Avec ses 47 cloches (à l’époque) et son bourdon de 5.000 kg il tentait fortement les Allemands. Lorsque l’ordre de réquisition arriva sur le bureau du bourgmestre Jean Lescarts, celui tenta de résister à plusieurs reprises, en faisant valoir les côtés historique et artistique du carillon de Mons, mais rien n’y fit. Il s’opposait chaque fois aux ordres de l’occupant qui devenaient de plus en plus pressant, jusqu’au jour ou il eut l’idée de gagner du temps et composer avec le responsable des réquisitions en lui proposant de lui faire entendre l’instrument. Mais il y avait un obstacle : le maître de cloches avait juré en août 1914 de garder son carillon muet aussi longtemps que l’ennemi occuperait le pays. C’est ainsi que notre carillonneur fut convoqué par le Mayeur qui le supplia de faire taire ses scrupules patriotiques. Il y allait de l’existence du carillon. Fernand Redouté fut ébranlé par ces arguments impératifs, et l’on fixa au 1er septembre 1918, la date du concert qui serait « offert » aux Allemands. Le programme devait être soumis à la censure préalable bien évidemment.
On connaît le programme de ce concert de carillon insolite, qui intrigua les Montois jusqu’à ce qu’ils comprennent ce qu’il s’était passé : Fernand Redouté avait eu la finesse d’y introduire de nombreux airs allemands… Mais aussi l’air du Doudou…, il dut plaire au « Kreischef (1) » et à ses amis rassemblés sur la Grand-Place, puisqu’il renonça à ses ordres intérieurs et que le carillon fut définitivement sauvé de la destruction. Sans doute était-il mélomane et fut-il touché par le talent de notre carillonneur qui y avait mis tout son coeur. Et pour cause !
Et le 11 novembre suivant, vers trois heures du matin, le 42e bataillon du Royal Highlanders of Canada s’infiltrait en ville. Vite alerté, Fernand Redouté monte, joyeux, les escaliers du beffroi. Il est à peine quatre heures et demie et il fait encore nuit. Mais le carillonneur a des ailes, le carillon n’attendait que lui. Et, sur Mons, on entendit un concert de cloches comme jamais, peut-être, on n’ en avait joué. Á toute volée, frappant le clavier de ses poings et de ses pieds, Redouté joue l’air de « Bon voyage, Monsieur Dumollet », à l’intention de l’ennemi enfin effondré et prenant le chemin du retour. Puis ce furent « La Brabançonne », « La Marseillaise », Le God save the King » et tant d’autres airs, qu’il avait dû se retenir de jouer pendant plus de quatre longues années. Le carillon était sauvé. Le pays allait être libre enfin.
Dès l’aube, réveillés par ce carillon joyeux, une foule délirante d’enthousiasme, s’était assemblée sur la Grand Place. Les Montois s’embrassaient, fous de joie, tandis que les Canadiens débouchaient plus nombreux de toutes les rues. On les embrassait aussi les braves soldats. Quelques heures plus tard, on apprenait que l’armistice était signé. La guerre était finie…(2)
(1) Sorte de commissaire d’arrondissement désigné par la « Zivilvervaltung ».
(2) Georges Despinoy.
Lettre de Victor Hugo à sa femme adèle, datée du 18 août 1837
Je t’ai promis de te reparler de Mons. C’est en effet une ville fort curieuse. Pas un clocher gothique à Mons, car l’église chapitrale de Sainte-Waudru n’a qu’un petit clocheton d’ardoise insignifiant ; en revanche la silhouette de la ville est chargée de trois beffrois dans ce goût tourmenté et bizarre qui résulte ici du choc du nord et du midi, de la Flandre et de l’Espagne. La plus haute de ces trois tours, bâtie sur l’emplacement de l’ancien château, et, je pense, vers la fin du dix-septième siècle, a un toit vraiment étrange. Figure-toi une énorme cafetière flanquée au-dessous du ventre de quatre théières moins grosses. Ce serait laid si ce n’était grand. La grandeur sauve. Autour de ce genre de clochers imagine des places et des rues irrégulières, tortues, étroites souvent, bordées de hautes maisons de brique et de pierre à pignons taillés du quinzième siècle et à façades contournées du seizième, et tu auras une idée d’une ville de Flandre.
La place de l’hôtel de ville à Mons est particulièrement jolie. L’hôtel de ville a une belle devanture à ogives du quinzième siècle avec un assez curieux beffroi rococo, et de la place on aperçoit en outre les deux autres clochers. Comme je devais partir à trois heures du matin je ne me suis pas couché pour voir cet ensemble au clair de lune. Rien de plus singulier et de plus charmant sous beau ciel clair et étoilé que cette place si bien déchiquetée dans tous les sens par le goût capricieux du quinzième siècle et par le génie extravagant du dix-huitième ; rien de plus original que tous ces édifices chimériques vus à cette heure fantastique.
Source : (20+) L’Association des Montois Cayaux | Facebook
Les ouvrages de Philippe Yannart sont disponibles | Mons Blog
Sites à visiter :
Le beffroi de Mons | visitMons – Portail Touristique Officiel de la Région de Mons